Une petite phrase marquante: «les sensations se promènent seules dans le monde»

À la bibliothèque de Crans-Montana, mon regard a été capté par un ouvrage au titre étrange: Qui suis-je et si je suis combien. Pour satisfaire ma curiosité, je l’ai donc emprunté. Il s’agit d’un livre écrit par Richard David Precht, philosophe, écrivain et journaliste, ancien professeur à l’université de Cologne. Dans cet essai, il met en lien philosophie et découvertes neuroscientifiques. Ceux qui ont lu la nouvelle 2118 d’Uryelle ont peut-être compris l’intérêt que je porte à ses questions.

La petite phrase «les sensations se promènent seules dans le monde» a particulièrement retenu mon attention. Elle vient de Ernst Mach. Ce dernier est surtout connu pour ses recherches sur les vitesses supersoniques. On dit par exemple que le Concorde volait à Mach 2, c’est-à-dire à deux fois la vitesse du son. Mais le physicien était aussi philosophe. Pour lui, le «moi» tel que ses prédécesseurs tente de décrire n’existe pas. Il est simplement constitué par la palette des sensations provenant du monde qui nous entoure et qui change à chaque instant. Pour lui le «moi» est «insauvable». Voici ce qu’il dit dans sa correspondance avec son ami Hermann Bahr:

«Quand je dis que le moi est insauvable, je veux dire par là qu’il réside dans la perception par l’homme de toutes les choses, de toutes les manifestations, que ce moi se dissout dans tout ce qu’on peut ressentir, entendre, voir, toucher. Tout est éphémère, un monde sans substance qui n’est constitué que de couleurs, contours et sons. La réalité est en mouvement perpétuel, en reflets changeants à la manière d’un caméléon. C’est dans ce jeu des phénomènes que se cristallise ce que nous appelons notre «moi». De l’instant de notre naissance jusqu’à notre mort il se transforme sans cesse».

Si l’on met cela en perspective avec l’évolution des espèces, on prend toute la mesure de la contingence de ce qui fait l’humanité et de notre vie. Notre espèce a évolué en prenant les caractéristiques qui lui ont permis de survivre. Les sensations que nous percevons, ce qu’elles provoquent chez nous, les émotions, et les actions qui en découlent, sont simplement le fruit de la sélection naturelle.

D’autre part, Spinoza (1632-1677) disait «L’homme se croit libre, car il ignore les causes qui le déterminent.» Peut-être avons-nous fait un pas grâce à Darwin (1809-1882) et à Mach (1838-1916). Car nous n’ignorons plus les causes qui nous détermine: c’est les perceptions et notre manière d’y réagir qui nous ont été données par la sélection naturelle. Par exemple, beaucoup d’animaux ne voient pas le rouge. Il est probable que la vision de cette couleur permettait à nos ancêtres de repérer les fruits mûrs et donc plus énergétiques. Cette capacité a donc favorisé la survie des individus qui en était dotée et a été perpétuée jusqu’à nous.

Cependant, nous ne sommes pas plus libres. Nous sommes déterminés par les caractéristiques inscrites dans l’espèce et le milieu dans lequel nous vivons. Ainsi, notre expérience, notamment notre éducation, mais aussi nos succès et nos accidents de vie participent également à nous définir.

Ernst Mach Les sensations se promènent seules dans le monde

Source:
Richard David Precht, Qui suis-je et si je suis combien, 2010
http://espace-holbein.over-blog.org/article-3938617.html

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